2 décembre,
6
heures, il fait encore nuit à Marseille : la camionnette rouge des
pompiers, sirène et gyrophare, quitte le bout de l’autoroute urbaine qui
longe la Joliette, laissant derrière elle une nuée de voitures de police, feux
bleus et agents de circulation équipés de lumières blanches, bandes
luminescentes blanches aussi, et vertes et orange, laissant le bus encastré
dans la rambarde de sécurité. Sous le choc la soute à bagages s’est
ouverte, les passagers brutalement réveillés tentent de retrouver leurs
affaires éparpillées, valises, sacs éventrés, vêtements, brosses à dents,
livres ou journaux intimes ouverts sur les trottoirs avoisinants, ou dans les
caniveaux. Derrière l’accident s’est formé en trois minutes un bouchon de
plusieurs kilomètres, à cette heure où la ville s’étire en bâillant et
ouvre ses commerces et ses ateliers. A l’arrière de la voiture, sous le
regard attentif et professionnel de deux pompiers, Gabriel en caleçon sourit
devant lui, aux anges peut-être. Il semble parfaitement calme, absent à
l’agitation de cette camionnette qui file sur les boulevards, gyrophare et sirène
en continu, virages sur les chapeaux de roues, embouteillages, klaxons et cris
dans les rues de cette ville qui tressaute déjà. Gabriel n’est plus dans ce
monde-là, comme un avion qui a quitté les turbulences et qui s’élève
au-dessus des nuages, gris dessous, blancs dessus, dans un ciel immaculé. Là-haut,
il entend distinctement les anges qui lui parlent et l’accueillent. Il n’a
pas encore l’habitude. L’ambulance passe le grand portail d’entrée de la
Timone, par le contournement rapide rejoint le pavillon de psychiatrie. On fait
sortir Gabriel, pieds nus, vêtu de ses seuls sous-vêtements et d’une
couverture trouvée dans la camionnette, d’où ne dépassent que ses mollets
blancs et son crâne dégarni parsemé de cheveux roux, son sourire largement
au-dessus des autres têtes.
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